Crédit:

A-t-on besoin de déclarer les naissances ?

A priori, ma question est naïve et inopportune. Nul doute qu’on me dira qu’un enfant non déclaré à l’état civil court le risque de perdre tous ses droits : nationalité, filiation, héritage, accès à l’éducation…
La déclaration de naissance est une des matières du code de famille tel que promulgué en 1987. Le simple fait pour le législateur congolais de se saisir de cette matière témoigne de son importance.
Cependant, des milliers d’enfants nés au Congo n’ont pas d’acte de naissance. Si l’on en croit un rapport de l’ONG « SOS enfants » datant de 2004, dans certains coins de ce vaste pays on recense 90 % des naissances non déclarées.Pour autant j’estime qu’il n’y a pas lieu de considérer que leur état civil n’est nullement établi. J’en veux pour preuve le fait qu’aucun des élèves actuellement inscrits dans les écoles du pays n’a été obligé de fournir son acte de naissance avant de prendre son inscription.

Ce qu’en dit la loi
L’article 116 du code de la famille dispose que toute naissance est déclarée à l’état civil dans le mois. D’après Madame Silvie, préposée à l’état civil d’une des 7 communes de la ville de Lubumbashi, le père et la mère de tout nouveau-né ont au total 90 jours pour le faire.

« Une naissance qui n’aura pas été déclarée avant l’expiration de ce délai ne saurait être prise en compte dans les registres officiels que sous réserve d’un jugement supplétif devant le tribunal de grande instance et du paiement d’une amende. »

Madame Silvie affirme par ailleurs que les Congolais comprendront bientôt la nécessité d’observer scrupuleusement ces dispositions du code de la famille.

« Déjà il est impossible d’ouvrir un compte en banque au nom de son enfant mineur ni de le faire quitter le pays sans présentation d’un acte de naissance. »

Maître Donat Kabuya, avocat au barreau de Lubumbashi, remarque que l’importance de ce type de document réside surtout dans sa valeur juridique.

« L’acte de naissance est un moyen de preuve irréfutable quand il s’agit notamment d’établir sa filiation avec un enfant enlevé ou disparu. »

Des raisons de ne pas y aller
On attribue au manque d’information le désintérêt pour entreprendre des démarches à l’état civil. En conséquence plusieurs campagnes d’information ont été menées çà et là. Certes, elles ont permis d’accroître le taux des naissances déclarées. Toutefois nombre de parents continuent à ne pas y attacher de l’importance. Comme l’atteste cet article du site SpeakJhr, certains parents de Kinshasa pourtant bien informés n’ont de cesse de remettre en question l’utilité des actes.
À mon avis le problème va au-delà d’une simple question de manque d’information. L’administration publique n’a jamais été aussi incapable d’inspirer confiance en la population.

Shambuyi, un agent de la société nationale de chemin de fer, m’a confié n’avoir jamais eu besoin d’avoir eu recours au service d’état civil.

« Mes enfants ont tous vu le jour dans une maternité appartenant à mon employeur. Je n’ai donc jamais été contraint d’aller les enregistrer à l’état civil pour pouvoir toucher les allocations familiales. Car chaque naissance était automatiquement portée à la connaissance du service de paie conformément au règlement de l’entreprise. »

Quant aux services publics concernés, il n’a pas hésité à me dire ce qu’il en pense :

« Ils sont aussi inefficaces qu’ils manquent de moyens pour mener à bien leur mission. Au mieux vous avez la chance d’obtenir votre acte de naissance après quelques manoeuvres plus ou moins compliquées. »

Corollaire d’un mal plus profond

  • Dès leur création au début du 20e siècle les grandes compagnies publiques, comme la société de chemin de fer, ont acquis le statut « d’État dans l’État ». Ceci leur permettant notamment de reconnaître un enfant né dans leurs institutions hospitalières. Le témoignage du cheminot ci-haut cité en est la plus belle illustration.
  • Par ailleurs, l’entretien que j’ai eu avec Madame Silvie m’a permis de comprendre que l’enregistrement d’une naissance est le résultat d’un processus qui commence dès la conception. En effet il est prévu des consultations prénatales pour toute femme enceinte. Lesquelles consultations servent aussi bien à prévenir le risque de décès maternel qu’à motiver les deux parents en faveur d’une filiation légalement établie sur base d’un acte de naissance. Rares sont donc les femmes congolaises qui vont en consultation prénatale.
  • Bref, on n’aura pas vraiment besoin de déclarer son enfant à l’état civil tant que l’administration publique aura à se vautrer dans une déliquescence manifeste.

Crédit phot o: senego.com

Partagez

Auteur·e

gaylussac

Commentaires

Jean-Chrysostome Tshibanda
Répondre

Hélas ! C'est pourtant l'une des.choses les plus normales dans un Etat... normal !

Guy Muyembe
Répondre

Et oui! En redigeant ct article je me disais que le jour où tous les enfants de ce pays seront connus à l'état-civil c'est peut-être le jour où les choses commenceront à marcher normalement.

Jean-Chrysostome Tshibanda
Répondre

Je crois que vous avez parfaitement raison de penser ainsi. Lorsqu'on ne sait pas s'organiser même pour les petites choses, les choses les plus élémentaires, comment pourra-t-on entreprendre avec succès de plus grandes choses. Ce genre de problème ne se posait pas à l'époque coloniale, malgré tout le mal qu'on peut en dire. La force d'un Etat est principalement tributaire d'une bonne et forte administration.

Benjamin Yobouet
Répondre

Pour ma part, au-delà de tout, c'est un devoir civique et moral !

Guy Muyembe
Répondre

En effet! Encore faut-il en avoir conscience.

Wence Kinshabashi
Répondre

Avez-vous jamais pensé que c'est parce qu'il y a des petits congolais têtus qui ne voulaient pas payer le bail de 9 mois de ventre à leur maman à leur naissance ? (allez je dis ça pour déconner, très bon article) !

Guy Muyembe
Répondre

Hahahaha :-)

Elsa Kane Njiale
Répondre

Sujet sensible mais important. Sans actes de naissance personne n "existe

Guy Muyembe
Répondre

Merci Elsa.Malheuresement peu de monde a conscience de cette réalité.