Guy Muyembe

Iriez-vous manger chez autrui ?

« L’enfant qui n’a jamais voyagé risque de croire que le fufu de sa maman est le seul qui vaille la peine d’être mangé. » C’est un proverbe… je ne sais pas très bien. Parions que c’est un proverbe lushois.
C’est que j’ai été interpellé par la sagesse de ce proverbe. En lisant entre les lignes, on comprend pourquoi il importe de faire preuve de tolérance envers ceux qui sont différents de nous, ceux qui ne pensent pas comme nous, ceux qui viennent de loin et parfois de très loin… En effet ce proverbe peut être reformulé comme suit : « Celui qui n’a jamais connu d’autres cultures risque fort de hiérarchiser les civilisations. »

Drapeau du parti grec Aube Dorée-wikipedia.org
Drapeau du parti grec Aube Dorée-wikipedia.org

Évidemment il est très dangereux de hiérarchiser les civilisations. Une telle démarche va d’abord vous pousser à considérer que la vôtre est au-dessus de toutes les autres. Ensuite elle va vous conduire à croire que ceux qui ne pensent pas comme vous ont véritablement tort et devraient faire amende honorable. C’est ainsi qu’on en est arrivé à des génocides, des purifications ethniques et d’autres formes d’extermination raciale.
Le meilleur moyen de connaître les autres cultures est de sortir de chez soi. De la sorte on a la chance de mettre de côté tout préjugé sur autrui.
Et à défaut de voyager, il faut accepter que l’autre vienne habiter à côté de soi. Ô je parie que peu d’entre nous sont préparés à l’admettre. Il n’y a qu’à voir comment prospèrent les mouvements et idéologies anti-immigrés, racistes ou réactionnaires partout dans le monde. Cela n’existe pas qu’en Europe et aux États-Unis, soyez tranquilles.

Réfugiés Syriens au Liban-wikipedia.org
Réfugiés syriens au Liban-Wikipedia.org

Ce qu’ignorent parfois les anti-immigrés, pas que ceux de l’Occident, je précise, c’est qu’eux-mêmes sont peut-être issus de l’immigration. Moi qui me suis toujours considéré comme un authentique fils du Katanga (La province la plus riche du Congo Kinshasa), je suis amené à reconnaître que l’un de mes ascendants est un immigré. Puisque toute cette région ainsi que la quasi-totalité du bassin du Congo a été jadis une terre des Pygmées. Comment se fait-il qu’aujourd’hui elle est au 3/4 peuplée de Bantous? Je me pose la question.
Tout comme la question se poserait aux Maghrébins dont la région a jadis appartenu aux Berbères, aux Américains dont le pays a  jadis appartenu aux Indiens, aux Zulus d’Afrique du Sud dont le pays a jadis appartenu aux Bushmen…
En conséquence je ne me poserais pas les questions du genre : « Pourquoi il y a trop d’étrangers dans mon pays? D’où viennent ces gens qui ne parlent pas ma langue? »
L’immigration est un phénomène vieux comme l’humanité pensante. Et on en a des preuves scientifiques.
L’erreur serait de croire que tout le monde ne pense qu’à venir chez vous. Pendant qu’un millier de Syriens échouent sur les côtes italiennes, des dizaines de milliers d’autres Syriens arrivent chaque mois au Liban. Tandis que quelques dizaines de milliers de Burkinabè vivent en France, il y en a des milliers en Côte D’Ivoire et partout ailleurs en Afrique de l’Ouest. Au moment où quelques Kinois cherchent à aller à Brazzaville malgré les expulsions, des centaines d’autre viennent vivre à Lubumbashi.

Terminons avec un proverbe inédit concocté par votre cher blogueur : « Un pays sans immigration est comme un plat sans assaisonnement. Il n’a aucune saveur »


Que mange les Lushois?

Il ne s’agit pas de se demander de quel type de repas se régalent les habitants de la seconde ville de la R.D.Congo. Il me semble avoir déjà informé mes lecteurs de ce que le fameux Bukari est l’aliment préféré des lushois.
Ma question se réfère plutôt à l’origine de ce que nous mangeons. D’où vient la farine dont se servent les ménagères pour préparer leur bukari? Et les poissons dont on se sert comme accompagnement? Et les épices qui assaisonnent ces poissons?
Au cours des decennies précédentes il était à peu près clair que les lushois mangeaient majoritairement les produits locaux. La farine était achetée sur place ou dans d’autres contrées du Katanga. Seule une petite minorité d’aliments importés finissait sur la table d’un citoyen ordinaire.
De nos jours il se dégage un constat sans appel: » au moins la moitié de ce qui se mange ici vient de l’étranger ».( ce n’est qu’une estimation de ma part sur base de ce que j’ai fait comme observation.)
Que s’est-il donc passé entre temps? Les lushois sont-ils devenus réfractaires au métier d’agriculteur? Les récoltes ont-elles baissés suite à la mauvaise qualité des sols?
Non. Rien de tout cela ne peut l’expliquer si l’on en juge par les effets du »boom minier », d’une part, et la spéculation foncière, d’autre part.

Ouvriers rwandais dans une mine en 1920-wikipedia.org
Ouvriers rwandais dans une mine en 1920-wikipedia.org

Au début des années 2000 le gouvernement de la R.D.Congo tirait toutes les conséquences de l’impossibilité de relancer  la Gécamines. Cette compagnie d’Etat était propriétaire de toutes les mines de cuivre et de cobalt du katanga. Cela faisait deux décennies au moins que rien ne marchait plus. L’unique alternative à la Gécamines était la libéralisation des activités minières. Concrètement il s’était agit de mettre fin au monopole d’Etat en cette matière.

C’était le debut de ce qui est décrit comme « boom minier »: des milliers d’hectares de terre très rapidement transformés en carrés miniers. Par conséquent, des dizaines de villages carrement déplacés et des nombreux champs rasés par des bulldozers.
Je pense ne pas avoir besoin d’en dire plus pour vous faire comprendre en quoi l’activité minière a été l’une des causes de la baisse de la poduction agricole locale.
La spéculation foncière a été autant néfaste! Des petits agriculteurs ont été obligés de mettre fin à leurs activités au motif que leurs terres étaient la propriété d’un certain Monsieur X. D’autres se sont vus déguerpis de leurs champs car l’Etat avait décidé de créer des nouveaux lotissements.
D’après les avis récueillis ça et là à travers les médias, cette spéculation foncière est aussi la résultante du récent phénomène d’accaparement des terres. C’est avec étonnement qu’on découvre des larges terrains entourés de fils barbelés et dont les propriétaires viennent de l’autre bout du monde( Épargnez-moi l’obligation de vous révéler leurs nationalités.)
Vivement le jour où on en viendra à nouveau à manger nos produits locaux.


Elle est dans toutes les têtes

On a beau faire semblant de ne pas s’en préoccuper. On a beau se réfugier derrière des considérations d’ordre philosophique ou religieux. La fin de l’année est là.
Qui dit fin de l’année dit fête. Pas n’importe quelle fête, hein ! Celle-ci doit être la plus belle et la plus jouissive possible. Celle qu’on n’a pas le droit de rater sous aucun prétexte.

wikimedias-commons
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La fin de l’année c’est la période où tout le monde fait à peu près la même chose : riches et pauvres préparent la fête ; gouvernants et gouvernés expriment leurs vœux de faire mieux l’an prochain ; chacun fait un peu de surenchère à son niveau.
D’après ceux qui s’y connaissent en sorcellerie, c’est à la fin de l’année que Satan convie tous ses acolytes à une grande fête. Imaginez la quantité de sang nécessaire pour égayer les convives et déterminez ensuite le nombre d’êtres humains qui devront être sacrifiés à cet effet.
Tout compte fait, une mort qui survient à la fin de l’année est forcement suspecte. Peu importe les circonstances qui l’on provoquée (maladie, accident, suicide…). Il vaut mieux mourir au mois de mars ou de juillet qu’un certain jour du mois de décembre.
Pareil décès est source de bien de conflits entre parents ou voisins qui s’accusent mutuellement de sorcellerie. Gare à celui qui en serait finalement convaincu.
Pour ma part cette théorie ne m’effraye pas du tout. Je suis heureux de découvrir un Satan qui est capable de s’amuser. C’est plutôt rassurant (n’y voyez aucun cynisme). Ne dit-on pas qu’il passe le plus clair de son temps à méditer des vilains projets ?
Donc, la ville toute entière est subitement agitée. Comme pour ne pas être du reste, le gouvernement renforce la présence policière çà et là par crainte d’attaques armées rondement menées comme celles de l’an passé.

pixabay.com
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Dans cet imbroglio l’offre de boissons alcoolisées et de la bouffe connaît une hausse tandis que les prix flambent. Les commerçants anticipent une croissance de la consommation.
Aussi elle apparaît comme une occasion de faire une revue des troupes dans chaque camp : le « camp de Dieu » incite les vrais croyants à être assidus au culte et la campagne du « camp de Satan » n’en demeure pas moins agressive. Et c’est le tenant d’un point de vue médian qui en ressort complètement dépaysé.
Dans ce contexte il n’est pas aisé de prédire l’avenir. Mais on peut néanmoins affirmer qu’au lendemain des fêtes ceci arrivera : les uns et les autres auront mauvaise conscience. Soit parce que la facture est salée soit parce que les réjouissances n’ont pas répondu aux attentes.

À vous mes lecteurs je dis joyeuses fêtes et mes vœux les meilleurs pour l’année 2015.


Parler sexualité avec aisance

Même entre amis il est des fois difficile de parler sexualité. En swahili (la langue la plus parlée par les habitants de Lubumbashi) il n’y a pas plus vulgaires que les termes en rapport avec la sexualité. Il n’existe pas comme en français ou en anglais des termes neutres. À mon humble avis, c’est l’une des raisons pour lesquelles le sexe a été pendant si longtemps une question tabou.
Peut-on imaginer un père et son fils en train de discuter franchement à ce sujet en employant ces termes? Ce sont les oreilles de ce dernier qui vont siffler.
Dans le même ordre d’idées, il a souvent été difficile pour les victimes de viol et agression sexuelle de porter plainte à cause du sentiment de honte. La langue n’y est sans doute pas étrangère  ceci n’engage que moi et je suis ouvert à toute discussion à ce propos).

wikimedias commons
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Que font donc les gens pour en parler quand même, J’ai observé que la plupart de gens choisissent de baisser la voix (eh, oui! C’est moins gênant de se le dire en chuchotant).
Les jeunes gens quant à eux sont beaucoup plus créatifs (ce n’est pas pour rien que l’avenir leur appartient). Pour parler sexe entre eux ils usent de toutes sortes de tournures et paraboles.
En côtoyant ces jeunes Lushois, vous aurez à entendre des tournures comme « manger la banane » ou « brouter ». Ce ne sont là que deux des nombreuses expressions du genre. Et vous aurez remarqué que toutes ces expressions font un rapprochement systématique entre sexe et nourriture.

Koffi Olomide
Koffi Olomide

Curieusement, on retrouve les mêmes formes d’expression dans les paroles des chansons des grandes stars de la Rumba congolaise. Ainsi quand Koffi Olomidé, dans l’une de ses chansons, affirme avoir une faim de loup on devine aussitôt le message qu’il veut faire passer.
Il reste à savoir qui de Koffi Olomidé ou de la jeunesse a incité l’autre à faire usage de ces tournures. Mais là n’est pas l’objet de notre débat.
J’aimerais terminer en dégageant les avantages et les inconvénients de passer par là pour parler sexualité ( encore une fois ça n’engage que moi).
Pour ce qui est des avantages, je trouve qu’il n’y en a qu’un : le débat autour du sexe devient beaucoup plus aisé. Et c’est tant mieux.
Quant aux inconvénients je pense qu’ils se résument en ceci : la tendance à faire une relation d’équivalence entre nourriture et sexe. À quoi nous sert la nourriture si ce n’est à satisfaire nos besoins physiologiques et à nous faire plaisir? Or si l’on doit penser que le sexe vaut bien un régime de bananes, je ne donne pas cher du respect qu’on doit à son partenaire.
Par ailleurs, c’est au nom de cette équivalence entre sexe et nourriture que certains se sont mis à avoir des rapports non protégés avec des partenaires à risque. D’après eux, si l’on ne doit pas manger une banane avec sa peau, on ne doit pas non plus porter un préservatif.
En tout cas la vie, elle, ne vaut pas un régime de bananes.


le gâteau lushois

Un gateau « made in Lubumbashi »? Pas vraiment. Car la pluspart d’ ingredients viennent  d’autres  contrées comme Kolwezi, Fungurume et Likasi.
Les décisions de procéder au partage viennent d’un peu partout( Londres, New-York, Shangaï, Bruxelles…) suivant les humeurs des convives.
Le principal ingrédient de cette patisserie c’est le « cuivre ».
Contexte

flickr.com
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Ce n’est ni un gâteau d’anniversaire ni un gâteau de mariage. D’ailleurs personne ici ne pense être venu passer du bon temps.
Et puis il n’appartient pas à l’hôte de découper et de manger la première tranche du gâteau comme on le voit dans les fêtes. Au fait l’hôte n’a pas le droit de goûter à ce gateau. Il en est indigne car il fait partie de ce qu’on appelle les apys pauvres sous-équipés.
Enfin, il est prié à chaque convive d’apporter son propre couvert. Aussi pour manger à sa faim il faut disposer d’un couteau le plus aiguisé possible.
Quid des convives

wikipedia.org
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Nous allons vous les présenter par ordre d’importance:
>Tonton Samy: on dit de lui qu’il a bâti sa fortune colt à la ceinture, tirant sur tout ce qui bouge quand ça lui chante. Ne pensez pas qu’il fût de ceux qui devaient aller au loin pour piller sous couvert de pseudo-missions civilisatrices. Sa propriété a toujours récélé d’énormes richesses. Il était question pour lui de s’en approprier en faisant la conquête du « Grand Ouest ». Tonton Samy, de son vrai nom États-Unis d’Amérique, n’est pas un enfant de choeur. Il entend se faire respecter par les autres convives.
>Maître shaolin: le monde est abasourdi de ce que en moins d’un siècle il a réussi à bâtir un empire industriel et financier parmi les plus puissants. Certains prophètes de malheur prédisent qu’il sera bientôt l’homme le plus puissant du monde. Ce qui n’est  pas pour plaire à Tonton samy. Maître shaolin, République Populaire de chine pour l’état-civil, est un convive qui mange sans régarder ce que contient l’assiètte du voisin. Au nom du principe de la non-ingérence, il ne veut pas non plus qu’on surveille son assiètte. Il reste que sa voracité inquiète tout le monde.
>Les fils à maman: on peut aussi les appeller filles à papa. C’est selon. Ils sont très exactement au nombre de trois. L’un s’appelle canada et les deux autres s’appelle Australie et Grande Brétagne.
>Coalition des briquétiers: ce n’est pas un seul convive mais deux. Comme Maître shaolin, leur meilleur ami, ce sont des nouveaux petits riches qui ont  appris recemment l’art de dominer pour rester puissants. Quand l’un s’appelle Inde l’autre s’appelle Afrique Du Sud.
Les dindons de la farce

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>La Mariane: Elle est riche et puissante. Mais son seul défaut est d’être une femme. Raison pour laquelle elle n’a pas réussi jusque-là à venir aussi près du mangéoire. Les machots en ont tellement après elle qu’elle se fait appeller « Douce France ». Ah! La honte!
Des fois, on lui lance un avertissement du genre: » tu n’es pas dans ton pré carré ici.Bienvenu au Far-West. »

>Le Petit costaud: Historiquement c’est à lui qu’a toujours revenu la part du lion. lais il s’est fait éjecter du mangeaoire faute d’avoir assez d’envergure pour mériter une place au soleil. pour mémoire on l’appelle aussi « La Belgique ».